JesuisRdc

L’or, malédiction de l’Ituri

Les milices UPC et FNI de l’Ituri se sont armées avec l’argent de l’or. Mongwalu est le véritable enjeu des combats. Des multinationales sont mises en cause.

COLETTE BRAECKMAN

Dans la région de l’Ituri, au nord-est du Congo, la paix tarde à se rétablir, même si plus de 10.000 miliciens ont déjà accepté de rendre leurs armes. C’est que les pays voisins, le Rwanda et l’Ouganda, ont continué, après l’annonce du retrait de leurs troupes, en 2002 et 2003, à demeurer présents par milices interposées. Des milices qu’ils ont continué à entraîner, approvisionner en armes et en munitions, et qui se sont combattues pour un seul enjeu : le contrôle des mines d’or.

L’organisation Human Rights Watch, après avoir multiplié appels et protestations, a mené dans l’Ituri une enquête approfondie (1). Ses conclusions n’éclaboussent pas seulement les chefs de guerre locaux, ces hommes qui se terrent encore en brousse ou qui, depuis leur retraite à Kinshasa ou à Kampala, téléguident attaques et massacres. Remontant plus haut, les enquêteurs ont suivi la piste de l’« or sale » jusqu’aux intermédiaires qui amènent le métal jaune en Ouganda et de là, vers les entreprises européennes comme la Suisse « Métalor Technologies ». Des sociétés qui se chargent du raffinage sans s’interroger sur la provenance des lingots qui leur sont fournis.

Il apparaît ainsi qu’en 2003 seulement, l’Ouganda a exporté de l’or pour une valeur de 60 millions de dollars, dont 13 millions à destination de la Suisse. Ces sommes importantes n’ont pas seulement renfloué la balance des paiements de l’Ouganda, l’or étant devenu, après le café et le poisson, le troisième poste à l’exportation. Il a aussi, tout au long de la chaîne de production et de commercialisation, permis de financer les groupes armés opérant dans le nord-est du Congo, des groupes qui n’ont cessé de se combattre, d’assassiner leurs rivaux en affaires et, surtout, de soumettre les populations civiles.

À Mongwalu en effet, site de la célèbre mine de Kilo Moto, l’une des plus riches d’Afrique, des mineurs artisanaux travaillent sous la contrainte, creusant, sans protection aucune, de profondes galeries souterraines. Ils sont obligés de remettre leur production aux combattants, eux-mêmes en cheville avec les intermédiaires.

À Gorumbwa, où les soldats ougandais s’emparèrent d’une tonne d’or, au début de la guerre, les conditions d’exploitation étaient tellement irresponsables qu’en 1999 la mine s’effondra, provoquant la mort de 100 personnes ! De juin 2002 à septembre 2004, plus de 2.000 civils ont trouvé la mort dans la seule région de Mongwalu, et des dizaines de milliers d’autres Congolais ont fui pour échapper à leurs assaillants.

Mais en plus de cette extraction sauvage de l’or et de la barbarie des groupes armés qui n’ont pas hésité à assassiner des observateurs des Nations unies, HRW relève que la multinationale « Anglo Gold Ashanti », désireuse de reprendre au plus vite ses opérations d’extraction, n’a pas hésité à établir des relations avec le FNI. Le Front national intégrationniste est un groupe armé composé surtout de Lendus, qui revendique le contrôle de la région après avoir affronté l’UPC (Union des patriotes congolais), essentiellement composé de Hemas.

L’enquête de HRW est une litanie de massacres et d’épurations ethniques : à Kilo, en décembre 2002, les Hemas de l’UPC, soutenus et même dirigés depuis le Rwanda, ont tué des dizaines de civils, les obligeant même à creuser leur propre tombe. Leur chef, Tomas Lubanga, a finalement été emprisonné à Kinshasa, mais son adjoint, Bosco Tanganda, resté dans l’Ituri, est accusé d’avoir attaqué un convoi de la Monuc.

Lorsque l’UPC dut abandonner Mongwalu, le FNI s’empara de la région, et les Lendus entreprirent cette fois de massacrer les civils hemas, en dépit de la présence à leurs côtés de militaires ougandais. Comme l’UPC avant lui, le FNI organisa le contrôle des mines d’or, les orpailleurs devant payer un dollar par jour pour être autorisés à creuser dans des conditions déplorables. Le FNI contrôla aussi les filières de commercialisation, menant aux comptoirs en Ouganda et utilisant ces ressources pour l’achat d’armes.

C’est en 2003 qu’« Anglo Gold Ashanti » revint dans la région ; à Kinshasa le gouvernement de transition était en place, mais sur le terrain, l’autorité effective était assurée par le FNI, qui contrôlait l’aéroport et l’accès des routes. Pragmatique et désireuse d’entamer au plus vite l’exploitation du site de Mongwalu, la multinationale rencontra donc à Kinshasa le leader des FNI, Floribert Njabu qui l’autorisa à entamer ses prospections. Pendant ce temps, sur le terrain, les combattants du FNI, narguant la Monuc, se livraient à de vastes épurations ethniques, abandonnant leurs victimes mortes, les bras liés, des bâtons enfoncés dans l’anus. HRW relate les contacts noués sur le terrain entre les représentants de la multinationale et les chefs du FNI. Ces derniers retiraient de cette relation prestige et avantages matériels tandis que la société, qui avait amené 35 expatriés sur le site de Mongwalu, a ainsi bénéficié d’une certaine sécurité contre toute attaque de milices locales.

(1) « Le fléau de l’or, République démocratique du Congo », Human Rights Watch.

lesoir.be | jesuisrdc.org